[La Cancel Culture]

Donald Trump a très souvent été “canceled” par ses opposants politiques, notamment pour ses propos douteux sous bien des aspects en tant que PDG, candidat, et Président des États Unis d’Amérique. Alors qu’il dénonçait ces pratiques – les définissant de mesures totalitaires – il a lui aussi appelé au boycott de personnalités à de nombreuses reprises : opposants, célébrités, médias et parfois même inconnus. Tout cela la majorité du temps sur Twitter. A titre d’exemple, même son émission The Apprentice consistait à “virer” des candidats à l’embauche. Lors de son mandat présidentiel, malgré des appels au boycott répétés et une tentative de destitution, Donald Trump a gardé sa fonction jusqu’au dernier jour, lors de la passation avec Joe Biden. 

L’exemple de Donald Trump rentre plus largement dans le phénomène de Cancel Culture. Cette culture de l’effacement, venue des États Unis, vise à boycotter des œuvres, évincer des personnalités suspectées de racisme ou encore d’homophobie en les discréditant publiquement. Cela touche tous les domaines de la culture : des médias, mais aussi des grands classiques comme Les Dix Petits Nègres d’Agatha Christie (renommé Ils étaient Dix en France) ou plusieurs films Disney, comme Pocahontas, Peter Pan, ou encore Dumbo

Cette notion de Cancel Culture se retrouve aussi bien dans le domaine politique que dans le domaine culturel. Fervents défenseurs des cultures, convaincus que leur diffusion est un pas de plus vers la paix dans le monde, nous pouvons alors nous demander s’il faut expurger les œuvres des clichés racistes, sexistes et homophobes ? La Cancel Culture est-elle une avancée, ou au contraire une nouvelle censure ? Alors : pour ou contre la Cancel culture ?

Selon un sondage de l’Ifop pour l’Express, seuls 11% des français et françaises connaissent et comprennent la notion de Cancel Culture. Certains pensent que c’est “ridicule”, qu’il ne faut pas couper les œuvres d’art ou les romans de leur contexte. D’autres, pensent que c’est une grande avancée dans la reconnaissance de l’oppression des minorités. 

Pour certains, la Cancel Culture n’existe pas. Ce terme viendrait plutôt des milieux réactionnaires qui n’acceptent pas le monde qui serait en train de changer, et ils utiliseraient cette notion pour discréditer les voix qui critiquent la société. 

Mais finalement, comment faire pour être “pour”, puisque ce terme est fait pour discréditer ceux qui aspirent à lever le voile sur la complexité de l’Histoire, sur la complexité de nos rapport avec la responsabilité que nous portons sur nos actes. Pour les pro-Cancel Culture, ce sont ceux qui portent cette vision du récit totalement idéalisé de notre Histoire – où en France pendant les Lumières, tout le monde pouvait débattre, alors que finalement ça n’était que les hommes blancs – qui sont les vrais porteurs d’une culture de l’effacement. Ils y effacent les femmes, les personnes racisées, les personnes homosexuelles, transgenres et plus largement issues de minorités en les incluant de facto dans des histoires qui ne sont pas les leurs. 

En rattachant ce débat politique au monde de la culture, leur point de vue est compréhensible : les études de genre et de race – et la sociologie en général – montrent l’importance de l’intériorisation des pratiques lors des différents stades de notre socialisation. Alors, en retirant les contenus racistes ou homophobes (pour ne citer qu’eux) des oeuvres avec lesquelles nous avons l’habitude d’être en contact – du livre que les enfants lisent en cours à la statue à la gloire d’un homme politique pro-esclavage – cela permettrait aux nouvelles générations de grandir et d’évoluer dans des espaces dépourvus d’animosité envers les minorités, et par conséquent d’atténuer (voir de faire disparaitre) les oppressions. 

Au même titre que les pro-Cancel Culture, les “contre” considèrent que l’utilisation de ce terme se retrouve largement dans le domaine politique et que cette notion est utilisée comme une arme pour se débarrasser de ses adversaires. Ils considèrent que la dénonciation de pratiques engendrerait le doute sur les idées et les carrières des acteurs du débat pour le restant de leur vie. Alors, ça serait une arme politique avant d’être une arme de défense de qui que ce soit. 

Alors que les pro-Cancel Culture voudraient réviser les œuvres, voire les interdire, les réfractaires ont la conviction qu’interdire des œuvres stéréotypées ou racistes reviendrait à du négationnisme. Il faudrait plutôt les matérialiser pour que l’Histoire ne se répète plus ainsi. Car si toutes ces parties de l’Histoire et de la Culture venaient à être supprimées, il n’y aurait plus aucun moyen de s’aider des erreurs du passé pour construire un monde meilleur pour demain. La solution passerait alors par l’éducation, et non pas par la négation ou la suppression. La Cancel Culture est un danger si elle conduit à la censure, car effacer une partie du débat revient à le supprimer, ce qui est impensable dans nos sociétés que l’on veut pluralistes et démocratiques. 

    Il existe aussi des avis moins tranchés, considérant que les débats menés par ce terme un peu fourre-tout de Cancel Culture se rapprochent des débats que l’on peut avoir sur l’islamo-gauchisme par exemple : catégoriser des personnes, des chercheurs, des activistes, dans des cases qui pourtant ne sont pas représentatives des recherches et des combats qu’ils mènent. En effet, lorsque l’on entend parler de Cancel Culture, le terme est souvent relié à la négation et l’effacement pur et simple de certains faits historiques, de certaines œuvres, de certaines paroles. 

Alors, il faudrait renverser la tendance, utiliser de nouveaux termes, plus précis, moins stéréotypés, qui permettraient d’expliquer en détails les enjeux du débat. Il faut alors se poser la question de la différence entre la censure de contenus, qui relèvent de la liberté d’opinion ou qui contreviennent à la loi ; et les mécanismes qui permettent aux “accusés” de dire ou de faire des choses répréhensibles, sans être inquiétés de ce qu’il pourrait leur advenir. Par exemple, Christophe Girard, adjoint à la mairie de Paris et accusé d’abus sexuels, a démissionné. Lors de sa conférence de presse, il a dénoncé l’inquisition dont il était victime, sans jamais parler de sa responsabilité politique et personnelle dans cette affaire. 

Alors, répondre par l’affirmative ou la négative strictes à la question “Pour ou contre la Cancel Culture ?” n’est finalement pas si simple. Cela touche toutes les strats de notre société, de la Politique à la Culture, en passant par les lieux de débat tels que les plateaux télé et les réseaux sociaux. Chercher à répondre d’une manière tranchée serait en réalité une accentuation d’un phénomène que nous retrouvons bien trop souvent de nos jours : la polarisation de l’espace public, où non seulement seules deux visions du monde sont visibles, mais aussi où le débat est constitué de personnes qui ne s’écoutent pas. Ici, il soulève deux valeurs fondamentales : la Liberté, soutenue par la Liberté d’Expression, et l’Égalité, soutenue par l’idée que le point de vue de chaque personne, peut importe son origine, peut-être entendu. Le Progressisme, c’est être capable d’allier la lutte pour la Liberté à celle pour l’Égalité. Oui car finalement, comment être libre si nous ne sommes pas égaux ? 

Article de Tifenn Genestier

Cet article n’engage que son auteure !

Partager :

[Actualités de l’UNESCO: Les 50 ans de la Convention contre l’importation, l’exportation et le trafic des biens culturels mondiaux]

Le 14 novembre prochain, cela fera cinquante ans que la Conférence générale de l’UNESCO a adopté la Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels. C’est l’occasion d’en faire un historique, afin de comprendre l’évolution et les enjeux d’une Convention visant à protéger les biens culturels à l’échelle mondiale. 

Naissance d’une Convention novatrice

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, le contexte est propice aux revendications indépendantistes des pays colonisés par des puissances alors affaiblies par le combat. Les pays ayant acquis leurs indépendances dans les années 1960 réaffirment leurs demandes de récupérer les éléments précieux de leur patrimoine culturel. Aussi, le constat est celui que la paix ne durera que si les accords politiques sont accompagnés par une solidarité morale et culturelle. La Convention de 1970 cristallise ces idéaux. Si elle compte aujourd’hui 140 Etats parties, elle entre en vigueur en 1972 avec la Bulgarie, l’Equateur et le Nigéria. Les premières nations à accepter et/ou ratifier la Convention sont celles ayant fait l’objet de pillages massifs, et il faut attendre une vingtaine d’années pour que les grandes puissances colonisatrices l’acceptent à leur tour. Par exemple, la France l’accepte en 1997, le Royaume-Uni en 2002 et la Belgique en 2009. 

Lors de la 16e session de sa Convention, l’UNESCO se place en pionner dans la lutte contre le trafic illicite des biens culturels. La visée est de protéger un patrimoine culturel matériel mondial, terrestre comme subaquatique. Protéger les biens culturels relève d’un devoir de mémoire, ainsi que de sauvegarde et construction de l’identité des peuples. Les trois principes de la Convention sont la prévention, la restitution, et la coopération nationale. Pour connaître les réalités nationales, les pays s’engagent à publier des rapports nationaux pour décrire l’avancée des mesures prises pour protéger les biens culturels. Les Etats parties se rencontrent lors de Réunion, organe souverain de la Convention, et la dernière s’est tenue en mai 2019.

Un cadre juridique international

L’UNESCO présente aujourd’hui la Convention comme juridiquement contraignante, puisqu’elle donne un cadre commun aux Etats parties, leur imposant de frapper de sanctions pénales ou administratives les acteurs contribuant au trafic illicite. Cependant, la Convention fait face à de nombreux obstacles depuis sa création: la territorialité des lois et la prévalence du droit interne, les faits uniquement postérieurs à 1970, l’absence de ratification par tous les Etats l’ayant acceptée, l’absence de coopération internationale effective… C’est la Convention UNIDROIT de 1995 qui a élaboré la Convention sur les biens culturels volés ou illicitement exportés pour résoudre les impuissances du texte de 1970. Une coopération est promue entre les pays, qui s’engagent à assurer un traitement uniforme dans la restitution des biens culturels volés. 

La Convention pose dès 1970 les principes de solidarité, d’équité culturelle et de responsabilité collective, et permet ainsi la protection d’un patrimoine culturel mondial. Dans son cadre, l’UNESCO a créé des formations pour sensibiliser et renforcer sa mise en œuvre, et s’est alliée aux professionnels et grandes institutions internationales engagés dans la lutte contre le trafic illicite de biens culturels. Une base de données sur les lois internationales, un Code de déontologie pour l’identification des objets avant leur acquisition (1997), et un certificat type d’exportation (2005) ont été créés pour contrôler la circulation des biens. En somme, la Convention régit un nouvel ordre culturel international, et exerce une grande influence sur l’opinion publique.

Des efforts toujours actuels en temps de pandémie 

Pourtant, le commerce illicite représente de 10 milliards de dollars chaque année, le plaçant troisième après le trafic de drogues et d’armes. Les objectifs de la Convention ont été mis à mal par une pandémie affaiblissant les mécanismes de surveillance et de protection des sites archéologiques, des musées, et que le trafic illicite en ligne se renforce. Lors d’une conférence le 26 juin dernier, des experts ont identifié le désintérêt des polices nationales des sites culturels et la volonté des particuliers de trouver un revenu complémentaire comme explications de ce regain. Les réseaux sociaux sont un espace propice à celui-ci, et largement utilisés par les grandes organisations criminelles. Facebook comme Instagram ont reconnu que leurs plateformes servaient à la vente d’objets pillés, et même à un « pillage sur commande », depuis 2011. Un autre phénomène est la vente aux enchères d’objet d’art en direct, où les objets sont exhumés et présentés devant l’acquéreur, dans un souci d’authenticité. 

Les enjeux restent entiers concernant les restitutions, et le débat est constamment réactualisé notamment par les récentes actions réalisées dans les musées du Louvre ou du Quai Branly. Pourtant, il semble que les rouages des restitutions commencent à accélérer leur cadence… affaire à suivre. 

Les 50 ans sur les réseaux sociaux : Le vrai prix de l’art 

L’UNESCO lance par ailleurs la campagne #TheRealPriceofArt sur les réseaux sociaux pour sensibiliser à la valeur réelle des biens culturels, et aux conséquences désastreuses de leur trafic illicite. Chaque visuel présente un objet intégré à la décoration intérieure de l’acquéreur, et une description vient rappeler le contexte et les acteurs de l’excavation. Par ailleurs, le 14 novembre prochain marquera la première édition de la Journée internationale de lutte contre le trafic illicite de biens culturels. Dans son cadre, une conférence internationale se déroulera à Berlin du 16 au 18 novembre, afin d’analyser les enjeux actuels pour chaque région du monde et d’échanger sur les solutions possibles. 

Programmes passionnants pour les jours et années à venir, restez connectés ! Si vous souhaitez voir l’historique de la Convention en images : https://en.unesco.org/fighttrafficking/gallery 

Article écrit par Emma Letard-Kerbart

Partager :