“Ghibli est un nom que j’ai choisi au hasard après l’avoir lu sur un avion. C’est juste un nom.” Tels furent les mots d’Hayao Miyazaki à Mami Sunada en 2013 lorsqu’elle lui demanda s’il était inquiet pour l’avenir du studio qu’il a lui-même créé.
Si ce nom a été trouvé au hasard, les films issus de ce fameux studio, ont eux tout, sauf un caractère anodin. Hymnes à la jeunesse, à l’amour, à la famille, à l’environnement, et à la femme, ils ont bercé toute une génération d’enfants grandissant à l’ère de la culture de masse, dont le soft power japonais ne fait pas exeption. Pourtant, n’en déplaise aux altermondialistes, ce ne sont pas des idées nationalistes que le studio Ghibli prône, mais bien des valeurs universelles, empreintes de tolérance et de respect pour son prochain.
Expliquer les métaphores de ces films, tel est le pari que s’est lancé le journaliste Alexandre Mathis en faisant la sociologie des personnages inventés par les réalisateurs des studios. LES réalisateurs ? Oui, car si Hayao Miyazaki est sûrement le plus célèbre d’entre eux, il n’est pourtant pas seul à traverser les locaux de Ghibli. Mentionnons alors Toshio Suzuki et Isao Takahata. On peut donc parler d’un trio de cofondateurs des studios. Nombre d’autres réalisateurs sont présents, cependant la prégnance de Miyazaki et Takahata s’explique par les succès qu’ont rencontré leurs œuvres.
Loin d’être alors un ouvrage sur la beauté des images des films, Un monde parfait selon Ghibli plonge alors en profondeur dans le sens caché des actions que les auteurs prêtent à leurs personnages. On peut alors parler d’écologie, d’égalité, d’amour ! De guerre aussi.
Retour sur trois des valeurs clefs, vous laissant le plaisir de découvrir les autres lors de la lecture de cet ouvrage qui est, dans la pratique, accessible à toutes et tous.
“Porter sur le monde un regard sans haine”
Si nous ne devions revenir ici que sur un exemple, un seul. La Princesse Mononoké, film au titre éponyme, raconte l’histoire d’Ashitaka, prince d’un village du Japon médiéval, dont le corps se fait peu à peu dévorer par une malédiction, après avoir tué un dieu sanglier possédé. Le seul remède : s’exiler dans la forêt, où vivent les esprits, pour trouver la cause de son malheur. Son périple lui apprend une chose tout au moins : les hommes et les animaux de la forêt ne cohabitent pas, ils se battent, ils résistent, ils se vouent une haine sans pareil. Chacun d’eux ont des raisons louables à leur attitude : d’un côté Dame Eboshi, qui tente de subvenir aux besoins de la ville sous son commandement. De l’autre, la forêt, les esprits, attaqués, ne sachant se défendre, haineux envers ces humains qui les attaquent. Mais, dans ce monde manichéen de prime abord, Ashitaka fait la rencontre de San, la princesse Mononoké, humaine élevée par une louve, contre les humains et leur manque de conscience écologique. Le rôle d’Ashitaka dans ce film : apprendre aux éléments à cohabiter ensemble. Montrer que la paix est possible. Et la paix est possible, quand on en arrive à la fin du film.
Ghibli et le féminisme
Parler de féminisme pour qualifier les studios Ghibli a été souvent considéré par nombre de journalistes comme une déformation interculturelle. L’auteur, mettant ces critiques à part, montre le rôle fondamental des femmes dans toutes les œuvres des auteurs de Ghibli. Loin de considérer que la femme est plus débrouillarde que l’homme, les auteurs tentent plutôt de montrer des femmes maitresses de leurs destins, et qui sont capables d’obtenir de l’aide d’hommes. En fait, c’est un discours d’égalité. Chihiro mène son aventure seule, et se fait un ami, Haku. Yubaba elle-même est la directrice des bains, et ne dépend d’aucun homme. Naausica, elle, est belle, forte, combattante, débrouillarde. Elle finit d’ailleurs par triompher, et sans l’aide du prince charmant. Dernier exemple, qui me tient particulièrement à cœur je dois bien vous l’avouer, est celui de Kiki, du film Kiki la Petite Sorcière, qui, du haut de ses treize ans, quitte la maison familiale sur son balai pour accomplir son apprentissage de sorcière loin de ses parents. Accompagné de Gigi son chat noir, elle s’établit seule : service de livraison, aventures dans la forêt, secours auprès d’une vieille dame ou de son ami suspendu à un dirigeable, elle est la maitresse de la situation à tout point de vue. Et, lorsqu’elle défaille, elle trouve seule la solution à sa perte de pouvoir.
“Quand l’homme rompt l’équilibre du monde, la forêt fait d’énormes sacrifices pour rétablir cet équilibre.”
Comment parler des films Ghibli sans s’arrêter quelques instants sur le poids des messages écologiques ? Impossible. Pourquoi ? Car dans tous les films, on y retrouve une morale environnementale. Tous. Nausicaa, c’est l’histoire d’une jeune fille qui tente par tous les moyens de restaurer la paix entre les hommes et la nature, devenue – pense-t-on – meurtrière après une guerre mondiale qui a mis fin à l’ère industrielle et moderne telle que nous la connaissons aujourd’hui. La Princesse Mononoké délivre le même message : la paix et la cohabitation entre les hommes et les éléments de la Terre. Et que dire de Ponyo sur la falaise, où Fujimoto, sorcier du fond des océans, essaie de rendre à la mer sa prééminence sur les hommes, qui l’ont mal-traitée jusqu’à présent. Dans Le Voyage de Chihiro, alors que les thèmes principaux pourraient être le passage de l’enfance à l’adolescence et l’amitié, on retrouve ce discours écologique, lors de l’arrivée d’un esprit putride dans les bains, métaphore de la pollution des rivières. Enfin – pour ne donner qu’un exemple de plus et vous laisser le plaisir de la découverte lors de la lecture de l’ouvrage – nous pouvons évidemment nous arrêter sur Mon Voisin Totoro, qui laisse une place prééminente encore une fois à la forêt, mettant à l’honneur une sorte de gros ours inoffensif qui fait pousser des arbres devant les yeux émerveillés de deux fillettes.
Alors, dans ces temps où la culture a tant de difficultés à nous parvenir, profitons du temps qui nous est laissé pour nous échapper et rêver à un monde meilleur, ou du moins à un meilleur lendemain. Un monde parfait selon Ghibli, en faisant le portrait des œuvres des studios Ghibli, trouve finalement la note d’espoir commune à tous ces films : les idées qui nous divisent ne sont en rien irrémédiables, et le meilleur est – le souhaite-t-on – à venir.
Si cet article vous a fait découvrir l’univers Ghibli mais que vous ne savez pas par où commencer, je vous invite évidemment à lire l’ouvrage d’Alexandre Mathis qui est compréhensible même pour les personnes n’ayant pas vu les films. Voici d’ailleurs la liste des films des studios depuis leur création. Un bon moyen aussi de passer le temps, seul, entre amis, ou avec des enfants, et pour se sensibiliser à des thèmes dont on parle beaucoup, mais finalement avec si peu d’humanité.
Article de Tifenn Genestier
Cet article n’engage que son auteure.