[Amadou Hampâté Bâ : La tradition orale africaine à l’UNESCO]

« Un vieux maître d’Afrique disait : il y a ma vérité et ta vérité, or la vérité se trouve au milieu. Pour s’en approcher, chacun doit se dégager un peu de sa vérité pour faire un pas vers l’autre ». Amadou donna cette leçon à la jeunesse Africaine, aujourd’hui, ces paroles prennent tous son sens. Défenseur de la société traditionaliste, il reconnait qu’elle avait « ses tares, ses excès et ses faiblesses ». Cependant elle était avant tout « une civilisation de responsabilité et de solidarité à tous les niveaux. », même au niveau écologique : « L’homme était également considéré comme responsable de l’équilibre du monde naturel environnant, il lui était interdit de couper un arbre sans raison, de tuer un animal sans motif valable. La terre n’est pas sa propriété mais un dépôt sacré confié par le créateur et dont il n’était que le gérant ».

Amadou Hampâté Bâ est né en 1900au sein d’une famille de traditionnalistes Peul et décédé en 1991. Il est une figure importante pour la représentation de la culture Africaine et particulièrement pour le peuple Peul : contes, romain initiatiques, poésies. De nombreux proverbes africains lui sont attribué. C’est notamment lui qui est à l’origine du célèbre proverbe « En Afrique, quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. » Ses romans ont été traduit dans de nombreuses langues étrangère. Ce grand personnage né à Bandiagara au royaume d’Ogon (Mali) rejoint le conseil exécutif de l’UNESCO de 1962 à 1970. Son parcours atypique commence à l’école coranique de Tierno Bokar , une haute figure de la spiritualité musulmane Africaine. Il est ensuite réquisitionné par l’école française de Bandiagara et continuera ses études à Djenné, école que la colonisation française destinait au « fils de chef ». En 1921, Amadou refuse d’entrer à l’École normale de Gorée. A titre de punition, le gouverneur l’affecte à Ouagadougou en qualité d’écrivain temporaire à titre essentiellement précaire et révocable ». Cette attribution le fera rire bien plus tard. De 1922 à 1932, il occupe plusieurs postes dans l’administration coloniale en Haute-Volta (actuel Burkina Faso) puis jusqu’en 1942 à Bamako. Après 1942, il rejoint l’institut français d’Afrique noire (IFAN) de Dakar. Il y effectue des enquêtes ethnographiques et y recueille des traditions orales. Amadou, en tant qu’ethnologue Africain prône une ethnologie des monde Africains et de leurs différentes ethnies par des ethnologues africains qui seraient plus apte à comprendre la portée des traditions et la profondeur du mythe qui entoure les rituels. En tant que membres de ces communautés, les ethnologues Africain aurait pour mission de retranscrire à l’écrit les traditions orales des peuples africains. L’ethnologue étranger, lui, qui veut cerner la portée d’une tradition sera confronter à des problèmes d’adhésion à la communauté étudié. Pendant 15 ans, Amadou se consacre à l’étude des Peuls, il a pu ainsi rassembler un considérable trésor d’archives, qui alimentera les publications savantes pendant de longues années. Il finira par rédiger L’empire peul du Macina, une synthèse historique exploitant la tradition orale. En 1951, il obtient de l’UNESCO une bourse lui permettant de se rendre à Paris et de rencontrer les milieux africanistes. Quand le Mali obtient son indépendance en 1960, il devient un acteur et fonde l’institut des sciences humaines à Bamako et représente le pay à la conférence générale de l’UNESCO. En 1962, il est élu membre exécutif du conseil, quatre années plus tard, il participe à l’élaboration d’un système unifié pour la transcription des langues africaines. En 1968, il est élu ambassadeur du Mali en Côte d’Ivoire. En 1975, il est récompensé par l’Académie française en reconnaissance ses services rendus au dehors, à la langue française.

Lors de la conférence générale de l’UNESCO du 1er décembre 1960, il demande « que la sauvegarde des traditions orales soit considérée comme une opération de nécessité urgente au même titre que la sauvegarde des monuments de Nubie ». Il accompagne son discours de ces paroles : « Je considère la mort de chacun de ces traditionalistes comme l’incendie d’un fond culturel non exploité ». Lors de son mandat à l’UNESCO, Amadou Hampâté Bâ défend les traditions africaines avec la plus grande ferveur, les Africains ne sont pas ignorants mais leurs savoir réside dans la tradition orale, les savoirs, mythes et les formes d’éducations se comprennent par l’oralité. Pour Amadou, chaque geste, chaque discussion a une portée éducative, d’où l’importance d’appartenir au groupe d’étude pour mieux comprendre les mécanismes informels qui régissent la vie de tous les jours en détails. Une fondation Ahmadou Hampâté Bâ, soutenue par les autorités ivoiriennes, a été créé à Abidjan, avec pour vocation, entre autres de préserver les patrimoines manuscrits et les recherches et archive de l’écrivain.

Cet article n’engage que son auteur.

Auxence Jobron.

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[(Re)découvrir Léon-Gontran Damas]

Il n’est plus bel hommage à tout ce passé
A la fois simple
Et composé
Que la tendresse
L’infinie tendresse
Qui entend lui survivre                                 

Léon-Gontran Damas, Névralgies, 1937.

Léon-Gontran Damas est un poète, écrivain et homme politique français. Cofondateur du mouvement de la négritude, il est moins célèbre que ses amis Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor. Il mérite cependant d’être mis en avant, et sa poésie d’être lue et entendue bien plus souvent.

Le poète naît en Guyane, à Cayenne, d’un père guyanais et d’une mère martiniquaise. Il vit une enfance difficile, marquée par les trois décès consécutifs de sa sœur jumelle, de sa mère et de sa grand-mère. Plus tard, il rencontre Aimé Césaire, au lycée Victor-Schoelcher de Fort-de-France, en Martinique.

Il déménage ensuite à Paris, où il s’inscrit à la fac de droit, mais suit également les cours de l’Ecole des langues orientales, de la faculté des lettres, puis plus tard de l’Institut d’ethnologie de Paris et de l’Ecole pratique des hautes études.

En 1930, il rencontre et fréquente de nombreux écrivains noir-américains et les jeunes intellectuels antillais et africains étudiant à Paris. Il participe avec eux au salon de littérature de Paulette Nardal et fait connaissance en 1930 avec Léopold Sédar Senghor. En 1932, Aimé Césaire arrive également à Paris. Tous trois, ils fondent la revue L’Etudiant noir, en 1935, dans lequel Damas – secrétaire de rédaction – déclare : « On cesse d’être un étudiant essentiellement martiniquais, guadeloupéen, guyanais, africain, malgache, pour être plus qu’un seul et même étudiant noir ».

Deux ans après, en 1937, il publie un ouvrage qui, au même titre que la revue, sera fondateur pour le mouvement de la Négritude : Pigments. Sa poésie repose sur l’oralité et la musicalité, son ton est direct, les mots sont peu nombreux mais choisis avec soin, et le rythme y est très important. On y repère – et Senghor le note – les influences du jazz et du blues. Damas dénonce notamment la société coloniale de son temps, les politiques assimilationnistes, le racisme et la discrimination. Ce recueil est censuré en 1939 pour « atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat ». On y retrouve, par exemple, le poème « Pour sûr » :

Pour sûr j’en aurai marre
Sans même qu’elle prennent les choses
L’allure d’un camembert bien fait
Alors, je vous mettrai les pieds dans le plat
Ou bien tout simplement
La main au collet
De tout ce qui m’emmerde en gros caractères
Colonisation
Civilisation
Assimilation
Et la suite
En attendant,
Vous m’entendrez souvent
Claquer la porte

Léon-Gontran Damas, Pour Sûr, 1939

Viennent ensuite plusieurs autres ouvrages. Dans Retour en Guyane en 1938, il évoque, après un voyage pour une mission ethnographique, la dérive de l’assimilation et les nombreux problèmes sociaux, économiques et politique sur place. Le livre est, lui aussi, censuré en 1939.  

Il publie également Graffiti en 1953, puis Black Label en 1956. Dans ce dernier ouvrage, sous forme de long poème, on trouve un extrait célèbre :

 [image : extrait de Black Label, 1956. Journal Le 1, du 17 juin 2020, p.4]

Léon-Gontran Damas est aussi très engagé politiquement. Il participe activement à la Résistance, à partir de 1939, aux côtés de Jean-Louis Baghio’o et de Marguerite Duras. Puis, après la guerre, il est élu député de Guyane, siégeant aux côtés de la SFIO et marquant son attachement au socialisme. Il critique notamment la loi de départementalisation de 1946 qui fait de la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique des départements français.

Le poète est aussi un ambassadeur culturel. Nommé conseiller de la société de radiodiffusion en 1958, il facilite l’expression des écrivains noirs à l’antenne. Il aussi engagé par l’UNESCO, après 1962, où il représente la Société africaine de culture fondée par Alioune Diop, et où il est chargé d’étudier « la survivance de la culture africaine dans le nouveau monde ».

Il passe la fin de sa vie aux Etats-Unis, et enseigne la littérature dans les universités. Il y meurt en 1978 et est enterré en Guyane.

Si Léon-Gontran Damas a eu un rôle central dans le mouvement de la Négritude, il est aujourd’hui peu connu et peu lu. Il est cependant un auteur inspirant, et une référence pour les héritiers de ce mouvement.

Finissons sur un poème qui parle de rêve, d’espoir et de ciel bleu, dans le recueil Pigments, Névralgies :

MON CŒUR RÊVE DE BEAU CIEL PAVOISE DE BLEU
sur une mer déchaînée
contre l’homme
l’inconnu à la barque
qui se rit au grand large
de mon cœur qui toujours rêve
rêve et rêve de beau ciel
sur une mer de bonheurs impossibles

Pour en savoir plus :

 Quelques podcasts France Culture à écouter :

  • Pour en apprendre sur l’homme : « Léon Gontran Damas, entre fureur et désenchantement », un épisode de l’émission « Tire ta langue », d’Antoine Perraud, avec Sandrine Pujols, spécialiste de l’œuvre de Damas. 2011. 28 min.
  • Pour écouter sa poésie : Une série d’émissions consacrées à Léon Gontran Damas, dans l’émission « Jacques Bonnaffé lit la poésie ». 2018. Environ 3-4min.

Quelques articles intéressants à consulter :

Vous pouvez écouter ici l’auteur lire des extraits d’un de ses écrits les plus célèbres, le long poème « Black Label », publié en 1956 :

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