[Le Touloulou, personnage emblématique du Carnaval guyanais]

Pour anticiper le podcast sur le processus de formation du dossier d’entrée au patrimoine mondial de l’UNESCO du Touloulou, nous vous proposons aujourd’hui un article pour vous présenter ce personnage énigmatique du Carnaval guyanais. 

Unique en son genre, le carnaval de Guyane est le plus long du monde. La fête commence, début janvier, pour se terminer entre février et mars. C’est l’un des événements majeurs en Guyane. Lorsque l’on se penche sur son histoire, on se rend compte que cette fête appartient à la culture créole, même si elle a pour origine celle qui est pratiquée en Europe sous le même nom.

Lors de la colonisation, les européens fêtaient en effet le Carnaval, mais interdisaient aux esclaves de participer aux réjouissances. Ces derniers, bravant l’interdit, organisaient alors des fêtes clandestines. Cela leur permettait notamment de fêter, comme leurs ancêtres africains, la fertilité et les moissons. Cela leur permettait également de tourner leurs maîtres en dérision. C’est dans ce contexte qu’est né le Touloulou, personnage emblématique du Carnaval guyanais. 

         Le Touloulou est en effet le personnage le plus typique du Carnaval guyanais. C’est une femme habillée élégamment de la tête aux pieds. On ne peut pas la reconnaître : elle change de parfum, de chaussures, couvre toutes les parties de sa peau, rajoute des boudins sous sa robe pour masquer ses formes. Elle porte également une cagoule et de longs gants pour garantir son anonymat. Certaines mettent même des lentilles colorées, et changent leur voix. 

Ce personnage représente les femmes bourgeoises des 18e et 19e siècles, bien habillées et toujours habillées de la tête aux pieds. 

Le Touloulou a été inventé pour caricaturer les épouses des maîtres de plantation. Son apparition s’est faite peu avant l’abolition de l’esclavage, mais il a permis plus tard de casser les barrières sociales qui perduraient entre les personnes noires – les nouveaux affranchis – et les blancs – leurs anciens maîtres. 

Durant le bal du samedi soir, aussi appelé « université », le Touloulou est la reine de la soirée. Il danse et invite des hommes à le rejoindre pour fêter toute la nuit le Carnaval. Véritable institution, il doit respecter un certain nombre de commandements car ces dernières décennies, ses défenseurs ont noté de la négligence dans son attitude : 

1.     Pour éviter les mauvaises interprétations : marrainez le Touloulou « lakrèch ».

2.     Que la danse et la musique restent le centre d’intérêt du bal masqué.

3.     Que le masque protège l’anonymat obligatoire du Touloulou.

4.     Tu respecteras la liberté des autres pour être libre de toi.

5.     La discrétion, la subtilité de tes gestes rendront hommage.

6.     Le bal masqué ne doit pas, par ton attitude, devenir une maison close.

7.     N’assimilez point ces lieux mythiques aux boîtes de nuit ou aux chambres d’hôtel.

8.     Soyez charmeuse sans être sangsue, le Touloulou passe partout, voit tout, mais ne doit jamais s’accrocher.

9.     Faites-vous désirer et non détester.

10.  La sagesse nous permettra d’apprécier jusqu’à la fin des temps cette coutume unique chez nous.

Si vous souhaitez connaître plus amplement le personnage du Touloulou, vous pouvez écouter notre podcast sorti récemment en collaboration avec l’Observatoire régional du Carnaval guyanais et son Vice-président Brunel Boutrin ! 

Vous pouvez également vous rendre sur le site de Guyane Amazonie pour voir plus en détail les différents personnages du Carnaval et de jolies images sur les manifestations ! https://www.guyane-amazonie.fr/le-carnaval-de-guyane

Article de Tifenn Genestier

Cet article n’engage que son auteure.

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[(Re)découvrir Léon-Gontran Damas]

Il n’est plus bel hommage à tout ce passé
A la fois simple
Et composé
Que la tendresse
L’infinie tendresse
Qui entend lui survivre                                 

Léon-Gontran Damas, Névralgies, 1937.

Léon-Gontran Damas est un poète, écrivain et homme politique français. Cofondateur du mouvement de la négritude, il est moins célèbre que ses amis Aimé Césaire et Léopold Sédar Senghor. Il mérite cependant d’être mis en avant, et sa poésie d’être lue et entendue bien plus souvent.

Le poète naît en Guyane, à Cayenne, d’un père guyanais et d’une mère martiniquaise. Il vit une enfance difficile, marquée par les trois décès consécutifs de sa sœur jumelle, de sa mère et de sa grand-mère. Plus tard, il rencontre Aimé Césaire, au lycée Victor-Schoelcher de Fort-de-France, en Martinique.

Il déménage ensuite à Paris, où il s’inscrit à la fac de droit, mais suit également les cours de l’Ecole des langues orientales, de la faculté des lettres, puis plus tard de l’Institut d’ethnologie de Paris et de l’Ecole pratique des hautes études.

En 1930, il rencontre et fréquente de nombreux écrivains noir-américains et les jeunes intellectuels antillais et africains étudiant à Paris. Il participe avec eux au salon de littérature de Paulette Nardal et fait connaissance en 1930 avec Léopold Sédar Senghor. En 1932, Aimé Césaire arrive également à Paris. Tous trois, ils fondent la revue L’Etudiant noir, en 1935, dans lequel Damas – secrétaire de rédaction – déclare : « On cesse d’être un étudiant essentiellement martiniquais, guadeloupéen, guyanais, africain, malgache, pour être plus qu’un seul et même étudiant noir ».

Deux ans après, en 1937, il publie un ouvrage qui, au même titre que la revue, sera fondateur pour le mouvement de la Négritude : Pigments. Sa poésie repose sur l’oralité et la musicalité, son ton est direct, les mots sont peu nombreux mais choisis avec soin, et le rythme y est très important. On y repère – et Senghor le note – les influences du jazz et du blues. Damas dénonce notamment la société coloniale de son temps, les politiques assimilationnistes, le racisme et la discrimination. Ce recueil est censuré en 1939 pour « atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat ». On y retrouve, par exemple, le poème « Pour sûr » :

Pour sûr j’en aurai marre
Sans même qu’elle prennent les choses
L’allure d’un camembert bien fait
Alors, je vous mettrai les pieds dans le plat
Ou bien tout simplement
La main au collet
De tout ce qui m’emmerde en gros caractères
Colonisation
Civilisation
Assimilation
Et la suite
En attendant,
Vous m’entendrez souvent
Claquer la porte

Léon-Gontran Damas, Pour Sûr, 1939

Viennent ensuite plusieurs autres ouvrages. Dans Retour en Guyane en 1938, il évoque, après un voyage pour une mission ethnographique, la dérive de l’assimilation et les nombreux problèmes sociaux, économiques et politique sur place. Le livre est, lui aussi, censuré en 1939.  

Il publie également Graffiti en 1953, puis Black Label en 1956. Dans ce dernier ouvrage, sous forme de long poème, on trouve un extrait célèbre :

 [image : extrait de Black Label, 1956. Journal Le 1, du 17 juin 2020, p.4]

Léon-Gontran Damas est aussi très engagé politiquement. Il participe activement à la Résistance, à partir de 1939, aux côtés de Jean-Louis Baghio’o et de Marguerite Duras. Puis, après la guerre, il est élu député de Guyane, siégeant aux côtés de la SFIO et marquant son attachement au socialisme. Il critique notamment la loi de départementalisation de 1946 qui fait de la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique des départements français.

Le poète est aussi un ambassadeur culturel. Nommé conseiller de la société de radiodiffusion en 1958, il facilite l’expression des écrivains noirs à l’antenne. Il aussi engagé par l’UNESCO, après 1962, où il représente la Société africaine de culture fondée par Alioune Diop, et où il est chargé d’étudier « la survivance de la culture africaine dans le nouveau monde ».

Il passe la fin de sa vie aux Etats-Unis, et enseigne la littérature dans les universités. Il y meurt en 1978 et est enterré en Guyane.

Si Léon-Gontran Damas a eu un rôle central dans le mouvement de la Négritude, il est aujourd’hui peu connu et peu lu. Il est cependant un auteur inspirant, et une référence pour les héritiers de ce mouvement.

Finissons sur un poème qui parle de rêve, d’espoir et de ciel bleu, dans le recueil Pigments, Névralgies :

MON CŒUR RÊVE DE BEAU CIEL PAVOISE DE BLEU
sur une mer déchaînée
contre l’homme
l’inconnu à la barque
qui se rit au grand large
de mon cœur qui toujours rêve
rêve et rêve de beau ciel
sur une mer de bonheurs impossibles

Pour en savoir plus :

 Quelques podcasts France Culture à écouter :

  • Pour en apprendre sur l’homme : « Léon Gontran Damas, entre fureur et désenchantement », un épisode de l’émission « Tire ta langue », d’Antoine Perraud, avec Sandrine Pujols, spécialiste de l’œuvre de Damas. 2011. 28 min.
  • Pour écouter sa poésie : Une série d’émissions consacrées à Léon Gontran Damas, dans l’émission « Jacques Bonnaffé lit la poésie ». 2018. Environ 3-4min.

Quelques articles intéressants à consulter :

Vous pouvez écouter ici l’auteur lire des extraits d’un de ses écrits les plus célèbres, le long poème « Black Label », publié en 1956 :

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