Une carrière musicale couronnée de succès
Anne Sylvestre, de son vrai nom Anne-Marie Beugras, est née en 1934 à Lyon et est décédée le 30 novembre 2020. D’abord étudiante en lettres, elle décide rapidement de se consacrer à la musique. C’est en recevant le numéro de téléphone de Michel Valette, patron du cabaret parisien La Colombe, qu’Anne Sylvestre débute sa carrière en 1957. Elle se produit ainsi dans ce cabaret qui a connu le début des plus grands noms de la chanson française comme Serge Gainsbourg, Brigitte Fontaine, Léo Ferré ou encore Jean Ferrat. En 1959, elle sort son premier album 45 tours « Mon mari est parti » et reçoit ses premières récompenses comme le Grand Prix international du disque de l’Académie Charles Cros. En 1962, elle sort les fabulettes pour enfants, qu’elle écrit principalement pour sa fille. Elle souhaite donner aux enfants, le goût de la liberté, le plaisir de chanter et « retarder leur crétinisation avant l’âge adulte ». Elle décide par la suite, en 1973, de fonder son propre label et d’assumer pleinement son succès.
Une compositrice-interprète atypique
A l’époque de ses débuts, les chanteuses écrivent rarement leurs propres chansons et demeurent souvent de simples interprètes. Anne Sylvestre estime que les hommes ne peuvent pas écrire sur tout et certainement pas sur ce que les femmes vivent et ressentent. Elle est tout de suite remarquée pour sa poésie, son humour et la qualité de ses textes. Elle instaure dans ses chansons de réels messages de société et de nombreuses valeurs qu’elle défend. Même dans ses fabulettes pour enfants, Anne Sylvestre souhaite leur partager les mêmes valeurs d’égalité, de bienveillance, de tolérance et de respect de l’autre et de l’environnement qu’auprès des adultes. Son franc parlé, sa qualité d’écriture et ses valeurs ne manqueront pas d’être admirés notamment par Georges Brassens qui dira d’elle en 1962 : « On commence à s’apercevoir qu’avant sa venue dans la chanson, il nous manquait quelque chose et quelque chose d’important ». L’une de ses chansons les plus célèbre demeure Les gens qui doutent qu’elle utilise en réaction aux personnes pleines de certitudes qui « lui cassent les pieds » et qu’elle dédie aux gens moins sûrs d’eux qu’elle encourage à s’exprimer. En 2009, elle recevra la médaille de vermeil de l’Académie française pour récompenser sa place sur la scène de la chanson française et son talent de parolière.
Une artiste pionnière et engagée dans les débats de société
Anne Sylvestre souhaite user de son talent d’écriture et d’interprétation pour délivrer de nombreux messages, positions et valeurs à travers toutes ses chansons. Aucune de ses chansons n’est dénuée de bon sens ou de message caché. Ainsi, elle s’engage d’abord contre la guerre, car sa carrière débute entre la fin de la guerre d’Indochine et le début de celle de d’Algérie, combat qu’elle exprimera dans sa chanson Mon mari est parti. Elle s’exprimera sur la misogynie ordinaire avec Une sorcière comme les autres et la Faute à Eve et dénoncera le crime de viol dans sa chanson Douce maison. Elle s’engagera également pour le droit à l’avortement suite à la publication du manifeste des 343 femmes célèbres ayant eu recours à l’avortement, paru en 1971 dans le nouvel observateur, dans sa chanson Non, tu n’as pas de nom. En outre, elle ne défend pas l’acte de l’avortement en lui-même mais le choix libre qui doit être laissé aux femmes. Dans la cause des femmes, elle sera par la suite pionnière des débats contre le harcèlement sexuel avant l’ère #metoo, au travers de sa chanson Juste une femme qu’elle publiera suite au scandale DSK :
« Il y peut rien si elles ont des seins
Quoi, il est pas assassin
Il veut simplement apprécier
C’que la nature met sous son nez »
Elle s’intéresse également à la charge mentale des femmes à la maison dans sa chanson Clémence en vacances qui raconte l’histoire d’une femme qui décide du jour au lendemain de ne plus rien faire à la maison, décidant « qu’elle en avait fait assez ». Sa chanson Petit Bonhomme est un hymne à l’autonomie des femmes et une satire de la lâcheté des hommes volages auprès de femmes qui ne resteront pas dupes mais au contraire se soutiendront. Anne sylvestre regrettera d’ailleurs dans Les Frangines que les filles soient dès l’enfance encouragées à se jalouser et être en concurrence au lieu de s’encourager, d’unir leur voix et de faire « changer les choses et je suppose aussi les gens ». Elle appellera tout au long de sa carrière à la sororité au sein de la société.
Lorsque la question d’un quelconque engagement féministe lui est posée, elle répondra : « Féministe, oui. C’est bien la seule étiquette que j’aurai honte de décoller ». Enfin, en 2007, elle s’engagera également pour le mariage homosexuel avec « Gay, marions-nous », brisant le silence de nombreux artistes à ce sujet et prônant une fois de plus l’égalité et la tolérance que mérite chaque citoyen.
Anne Sylvestre déjà courageuse et obstinée de mener une carrière de compositrice et d’interprète sur une scène musicale dominée par les hommes, mènera tout au long de sa vie des combats fondamentaux dont elle sera pionnière. Bienveillante et attachante, ses paroles ont été ses armes dans une société trop inégalitaire à son goût mais dans laquelle elle a gardé l’espoir d’une plus grande tolérance. Engagée et jamais résignée, Anne Sylvestre avait des décennies d’avance sur son temps et a laissé derrière elle bon nombre de paroles et de messages plein de sagesse.
Article de Clémence Hoerner
Cet article n’engage que son auteure.