[Chronique scientifique, le Patrimoine mondial naturel de l’UNESCO: L’Archipel de Socotra]

Un paysage de dragonniers © honzakrej / Adobe Stock

Voici celui que l’on nomme les « Galápagos de l’Océan Indien », en raison de sa biodiversité parmi les plus particulières et les plus riches de notre planète : l’Archipel de Socotra.

Présentation et histoire

Aussi appelé « l’île extraterrestre » au vu de sa singularité, l’archipel de Socotra est un ensemble d’îles appartenant au Yémen, situé à une centaine de kilomètres au large de l’Afrique de l’Est en mer d’Arabie entre la Somalie et le Yémen. S’étendant sur 250 kilomètres, il est composé de deux îlots rocheux baptisés Sabuniyah et Ka’l Firawn et de quatre îles, dont la plus remarquable est l’île de Socotra, aux côtés d’Abd al-Kuri, Darsah et Samha.

D’origine continentale, il se sépare du supercontinent Pangée, plus précisément du Gondwana, il y a un peu moins de 20 millions d’années (un battement de cils), et n’a depuis de cesse de fasciner les chercheurs par le trésor que constitue sa biocénose¹ unique et  cachotière.  En 1990, un groupe de scientifiques des Nations Unies se rend sur l’île afin d’en étudier l’écosystème. Le verdict est sans appel: c’est environ 700 espèces endémiques à cette région qui y sont découvertes, dont l’emblématique Dragonnier de Socotra. Un décor tiré d’un film de science-fiction qui fera se demander aux plus sceptiques s’ils n’ont pas changé de planète.

¹: ensemble des êtres vivants qui peuplent un même environnement.

Nature of the Socotra Archipelago, Yemen

Une autre expédition de taille a été menée en 2008 par un groupe d’archéologues russes, afin cette fois-ci de se pencher sur les mystères des civilisations de l’île. Beaucoup d’outils préhistoriques appelés “chopping tools” y ont été trouvés. 

Les chopping tools sont des outils façonnés dans la pierre, dont on obtient le tranchant en créant des éclats sur les deux faces (de l’anglais to chop /ˈtʃɒp/ : hacher). Ils sont caractéristiques des plus anciennes civilisations africaines de la période Oldowan. Ces petits outils nous révèlent donc que les premiers hommes ayant foulé la terre secrète de Socotra l’auraient fait il n’y a pas moins d’1,7 millions d’années… 

Aujourd’hui, c’est à peu près 50 000 habitants qui vivent au sein de l’archipel, dont la ville majeure est Hadiboh sur l’île de Socotra. Il n’y a aucun résident permanent sur les trois autres îles. 

La mémoire de l’île est ancrée dans une tradition poétique ancestrale. Chaque année, un concours de poésie y est organisé par la population socotrane. Le premier artiste reconnu fut une femme au 9ème siècle, la poétesse Fatima Al-Suqutriyya, surnommée Al-Zahra (la brillante). Aujourd’hui encore, elle reste une figure emblématique de la culture yéménite.

De par son climat hostile, majoritairement semi-aride sur les zones de basse altitude et tropical sur les hauteurs, l’agriculture y est compliquée, si bien que l’économie de l’île repose essentiellement sur la pêche et l’élevage de bovins et de chèvres. Les habitants et leur mode de vie simple font de leurs îles un endroit incroyablement préservé, au niveau de conservation sans égal, où les hommes vivent en osmose avec leur environnement et lui vouent un respect olympien. 

Situé à la sortie du golfe d’Aden se jetant dans la mer d’Arabie, c’est aussi un emplacement stratégique pour le commerce et les échanges maritimes depuis l’Antiquité. Préservé des conflits géopolitiques de la région comme la guerre civile sévissant au Yémen continental, l’archipel ne reste pas moins un point névralgique convoité du Moyen-Orient, notamment par les Emirats Arabes Unis. Plusieurs opérations ont été menées par la communauté internationale pour militariser et protéger la zone, comme l’Ocean Shield de l’OTAN ou l’opération Atalante de l’Union Européenne.

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Socotra old sea port | Valerian Guillot | Flickr

Critères de sélection 

L’Archipel de Socotra a été classé patrimoine mondial de l’UNESCO en 2008 selon le critère suivant :

Critère (x) : « contenir les habitats naturels les plus représentatifs et les plus importants pour la conservation in situ de la diversité biologique, y compris ceux où survivent des espèces menacées ayant une valeur universelle exceptionnelle du point de vue de la science ou de la conservation ».

Considérée comme une véritable Arche de Noé, Socotra se démarque par le nombre incommensurable d’espèces endémiques qu’elle abrite. C’est aussi un des endroits les mieux conservés de la planète, bien que peuplé. Son isolement géographique la coupant de tout, une faune et une flore incroyable s’y est développée, abritée des regards, mais somme toute, fragile. L’archipel est classé comme point chaud de la biodiversité de la corne d’Afrique (ou Hotspot), c’est-à-dire comme zone biogéographique sensible et menacée qui regroupe un grand nombre d’espèces endémiques.

En effet, 37% de la flore, 90% des espèces de reptiles et 95% des espèces d’escargots terrestres évoluant sur cette île aux merveilles n’existent nulle part ailleurs. 22 zones clefs de conservation et de transit d’oiseaux marins et terrestres y ont été recensées. 75% de la superficie émergée représentent des sanctuaires naturels.

Enfin, en cette décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques, mettons à l’honneur la vie marine fabuleuse de Socotra et ses sanctuaires marins, regroupant 253 espèces de coraux constructeurs de récifs, indispensables pour la santé de nos océans, 730 espèces de poissons côtiers et 300 espèces de crabes, crevettes et langoustes dans les eaux turquoises de ses lagons vierges. 

Gestion de l’île

Aujourd’hui, la priorité est de protéger l’archipel de l’exploitation humaine et de la dégradation. Pour l’heure, l’île fabuleuse sous protection juridique a su garder son intégrité et ses ressources quasiment intactes, mais les Nations Unies veulent renforcer les législations pour en assurer la pérennité et évincer les menaces futures. Le tourisme non durable est également une menace pour l’île, bien que les moyens de rejoindre Socotra soient restreints, rendant sa fréquentation difficile. 

L’archipel bénéficie de plusieurs titres et programmes de protection.

Il figure sur la liste Global 200 du World wide Fund for Nature (anciennement WWF World Wildlife Fund), regroupant les 238 régions écologiques les plus représentatives de la biodiversité sur Terre, ou encore au programme marin de l’UNESCO, visant entre autre à évaluer les impacts du réchauffement climatique sur le patrimoine mondial marin et de suivre leur état de conservation.

➯Lecture annexée: Peut-on encore sauver Socotra, l’archipel yéménite du « sang-dragon » ? | National Geographic

sources: Archipel de Socotra – UNESCO World Heritage Centre, Socotra — Wikipédia (wikipedia.org)

Cet article n’engage que son auteure.

Léane YVOREL

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